Grave et légère. Une peinture de Frédéric Benrath est orientée. Tout entière tendue vers un vide secret ou un silence. non localisables toutefois. Infusés.
Ces grands formats verticaux presque monochromes, à la frontalité un peu distante vont souvent par deux ou trois en sorte que nous nous sentons aspirés, absorbés par ces champs trop vastes pour que le regard puisse en embrasser tout l'espace. On n'y accède vraiment que par un élan de l'être. Seul un frémissement du corps peut répondre à la présence de cette peinture. C'est au corps (ou à l'âme) qu'elle s'adresse directement, intimement, dans le même temps conservant pour le regard son abord un peu lointain ou plutôt son écart.
La couleur n'est pas une étape de travail, elle est tout le travail. Elle s'identifie à la forme. Il n'y a rien d'autre que le champ chromatique fait d'une seule couleur qui s'anime non selon des formes mais selon des tonalités, des intensités, à l'exception, parfois, d'une mince ligne horizontale, tracée en réserve en sorte que la lumière l'efface à demi ou bien, au contraire, s'accroche avec éclat à la couleur d'une sous-couche qu'elle dévoile comme un souvenir qui revient d'autant plus fort qu'on essaye de l'oublier.
C'est par la couleur que le tableau atteint à ce vide que l'on doit bien qualifier d'organique car littéralement il n'y a pas la moindre parcelle de toile qui ne soit peinte. mais le peintre ne pourrait pas vraiment dire ce qu'il cherche. Il lui arrive de constater avec angoisse que la peinture est "bouchée". Il s'engage alors dans un travail acharné, mené par cette sorte de lucidité intuitive, intraduisible en mots, que l'on pourrait appeler "la pensée plastique".
Ce vide intérieur du tableau au seuil duquel Frédéric Benrath cherche à se tenir, on pourrait aussi bien le nommer l'ouvert pour reprendre le vocable de Hölderlin dont la poésie l'accompagne dans sa vie et dans son travail.
"Viens dans l'Ouvert, ami, bien qu'aujourd'hui peu de lumière scintille encore..."
Comment ne pas évoquer ces tableaux de 1990 dont le noir somptueux ne donne qu'à respirer.
Maurice Benhamou